I, 2 : LA TIRADE DE DOM JUAN
SUJET : amour et fidélité
IDÉE PRINCIPALE : Non seulement la fidélité est une prison mortelle, contraire à l’honneur et même à la justice, mais l’inconstance, en renouvelant sans cesse les joies de la conquête, est la source même du plaisir amoureux.
SITUATION :
Scène qui suit la scène d’exposition, dans laquelle S. dépeint son maître comme « grand seigneur méchant homme ». Le spectateur a appris, par un dialogue entre les 2 valets, Gusman et S, que DJ avait séduit, épousé puis abandonné Elvire. DJ entre en scène tandis que G s’enfuit : il vient d’être annoncé par un discours dont le contenu en fait un impie et un libertin. S reproche alors l’inconstance et l’infidélité de son maître, qui rompt les liens sacrés du mariage.
PRÉSENTATION : 1ère grande tirade de DJ qui consiste en une sorte d’autoportrait. S’empare du discours de S peignant son maître, pour l’analyser et le réduire en poussière à travers un art oratoire incontournable.
COMPOSITION :
- Critique ironique de la fidélité amoureuse
- Eloge lyrique de l’inconstance, épique de la conquête
I. LA CRITIQUE IRONIQUE DE LA FIDÉLITÉ
1) La fidélité présentée comme un emprisonnement
- Reprenant successivement les arguments de S, il réduit la morale en maniant habilement mots et formules. DJ adopte, au début de la tirade, un ton d’indignation à travers les interrogations oratoires et les phrases exclamatives.
- Marques du destinataire sont concentrées au début : réponse, présence interlocuteur.
- Métaphore spatiale : thème de l’immobilisme, sous la forme d’une image de CLAUSTRATION due à la fidélité, ici présentée comme un emprisonnement de l’homme. Les expressions « renoncer au monde », « s’ensevelir » : connotations monastiques.
2) La mort et le sommeil
Dialectique Mort/ vie : Le champ lexical de la fidélité conjugale (« lier, demeurer, fidélité.. ») est mis sur le même plan que celui de la mort (hyperbole « être mort dès sa jeunesse », renoncer au monde, ensevelir ») + CL du sommeil(fin) . Fidélité est synonyme de mort.
3) Le ridicule d’être fidèle
Par l’ironie « la belle chose »( antiphrase), DJ tourne à l’absurde les résultats de la morale de S et l’allitération en /f/ fait entendre du mépris dans le discours du séducteur.
Joue donc sur un renversement de valeurs :paradoxes. Et la conséquence = le ridicule : « le faux honneur ».
Gloire de l’infidélité / Ridicule de la fidélité : la morale est donc complètement renversée : le mal, le vice, est devenu le bien, la vertu. L’inconstance fait partie de sa dignité.
4. De la justice de l’inconstance : défense de l’infidélité
-
- Vocabulaire de la contrainte, de la nécessité.
- Droit/ devoir : DJ poursuit en conservant le thème moral de S, qu’il exprime ici en terme de « droit » et de « justice » : « toutes les belles ont droit… nos cœurs » : renverse encore la morale. Sacrifice à faire par équité ! La générosité : valeurs chrétiennes + voc courtois : rend « hommage et tributs ». « Nous » : valeur générale et oublie son destinataire : plus de2è personne (qui n’est qu’un faire valoir ) OU encore « nous de majesté ».
- Tps : pst de vérité générale : assertion
- Une obligation « naturelle » : « je rends… où la nature nous oblige ». DJ associe la nature à la morale. Importance du verbe.
TRANSITION = Il suffit de savoir manier les mots et formules pour justifier son attitude.. ! DJ ne croit certainement pas lui-même à ce discours qui n’est théorique qu’en apparence. Parvient grâce à son habileté rhétorique à renverser la morale traditionnelle.
Mais va plus loin encore : plaidoyer en faveur de l’inconstance !
II. ÉLOGE PARADOXAL de LA CONQUÊTE
Les marques du plaidoyer : présent de VG, nous sommes dans l’assertion
1) DJ, un être en expansion
– « Pour moi.. » : Après l’ironie et les généralités, DJ fait place à l’affirmation de son « moi » et P1.
– Lyrisme dans le thème de l’espace infini de la conquête perpétuelle qui s’oppose à la métaphore de l’immobilisme. CL du mouvement : « volent perpétuellement, borner leur souhait, rien qui puisse arrêter ». Stratégie argumentative : opposition de Chps lexicaux (immobilité /mouvement).
– Hyperboles : « je souhaiterais qu’il y eut d’autres mondes.. »
2) Le plaisir de la séduction
- « Je ne puis refuser mon cœur » : DJ s’emploie à être, non à se fonder, être brut. S’abandonne à ses désirs.
- Thème du regard : « yeux » + répétition du verbe « voir » : c’est le conquérant à l’affût mais le séducteur est aussi celui qui est regardé. Il se voit regardant faiblir une jeune beauté..
- « Les inclinations naissantes.. » : Présente en détail son comportement, affirme le plaisir qu’il en tire, mais n’explique rien « après tout » : aveuglement, refus de se poser des questions sur soi-même .
- Lyrisme dans l’intensité de la satisfaction : énumération, rythme ternaire répété : « à combattre, à forcer, à réduire ». Rythme qui traduit l’expansion. Style oratoire. Mais ce plaisir est en réalité associé à l’image du combat : « Douce violence » : oxymore : douceur liée paradoxalement au voc de la guerre, lie plaisir et conquête. Et en effet :
3) La figure du séducteur : le conquérant
- Le conquérant : métaphore filée de la conquête militaire : voc guerrier : « vaincre, triompher, conquérants », image du siège : « réduire », du duel « forcer le pied ». Thème de la victoire « maître ». Hyperboles : « si j’en avais 10000 » « un cœur à aimer tte la terre » = Registre épique.
- Stratégie de la conquête : les étapes= proche du récit, marques chronologiques : « de jour en jour, pied à pied »= progression temporelle/ « une fois » = rupture, pst du constat/ « tt le beau de la passion est fini : pc sens résultatif, constat sans appel. susciter la pitié « larmes, soupirs ». Stratégie toute préparée : « où l’on veut la faire venir ». Patience : « mener doucement ».
- Pronom perso : on/ nous
- La valeur de l’obstacle : femme se défend : « résistances, oppose », avec ses armes à elle « scrupules, pudeur » puis capitule « rendre les rames ». DJ aime mieux la chasse que la prise. Instrumentalisation des femmes, cynisme..
- « Mais lorsque l’on est maître.. » : garder sa conquête c’est la mort. Image de l’ennui : « tranquillité, endormissons »(cf CL de la mort début tirade) « objet nouveau »: place de l’épithète (mise en valeur de « nouveau »). Sorte de maxime : « Tout le plaisir est dans le changement » : négation de l’amour.Temps=pst de VG, éternel recommencement: retour au point de départ. Tps cyclique et non linéaire : l’éternel séducteur est condamné à perpétuellement recommencer sa chasse, comme Sisyphe…
- Alexandre : comparaison, héros particulièrement à la mode. Racine venait d’écrire un « Alexandre ».
CONCLUSION :
- Double énonciation : effacement de Molière derrière son personnage. Style de Dj = celui d’un grand seigneur capable d’emprunter à des domaines différents leur propre langage :
- –langage des sophistes : raisonnement brillant, ironique, sarcastique.
- -chrétien : « le renoncement au monde ».
- -épique, lyrique..
- DJ apparaît amoral : ne cherche pas à se justifier réellement mais à être. Aussi son discours n’est-il qu’une apparence de justification où les sophismes abondent et éblouissent Sg : « il parle comme un livre ».
- Intelligent, capable de cynisme, libre à l’égard de toute morale et de tout conformisme, DJ est cependant asservi à son appétit, sa passion. Libéré de tout, mais prisonnier de son appétit.
- Attitude immature, impuissance à aimer ?
QUESTIONS :Comment Dom Juan se justifie t-il ? En quoi l’éloge de l’inconstance élaboré par Don Juan est-il paradoxal ? En quoi cette scène est-elle significative du personnage de Don Juan ? Peut-on parler de scène d’exposition ? Pourquoi peut-on dire que dans cet éloge de l’inconstance, Dom Juan s’avère « monstrueux » ? Quelles sont les fonctions de cette tirade de Don Juan ?