Antonin Artaud

Antonin Artaud a quitté ce monde le 4 mars 1948. Il est, de tous les écrivains français, probablement le plus radical dans son projet de transformer l’écriture littéraire, la scène théâtrale et même l’art cinématographique. Sa vie, son œuvre, témoignent de cette folle entreprise et nous laissent des chefs-d’œuvre inoubliables comme sa reprise du « Moine » de Lewis, « L’ombilic des limbes », « le théâtre et son double » – traité incontournable sur la scène théâtrale. Ses apparitions sur les écrans de cinéma, comme dans « la passion de Jeanne d’Arc » de Dreyer ou le « Napoléon » d’Abel Gance sont des moments aussi hallucinés qu’hallucinants. La folie, puis la maladie feront de sa fin de vie un cauchemar.

« J’ai choisi le domaine de la douleur et de l’ombre comme d’autres celui du rayonnement et de l’entassement de la matière. Je ne travaille pas dans l’étendue d’un domaine quelconque. Je travaille dans l’unique durée. »
L’ombilic des limbes. 1925

Source : la cause littéraire.

À lire impérativement : le Théâtre et son double, essai dans lequel Artaud définit  le « théâtre de la cruauté » !

« Oh! Les beaux jours ! », S. Beckett

Dans la perspective de l’atelier ÉCRITURE & PHOTOGRAPHIE : LES MISES EN SCÈNE DU MOI (Week-end du 5-6 avril) :

INCONTOURNABLE ET SUBLIME.  La mise en scène de Oh les beaux jours, par Roger Blin, avec Madeleine Renaud dans le rôle de Winnie et Jean-Louis Barrault dans celui de Willie, au Théâtre de l’Odéon (1963).

Pièce en deux actes pour deux personnages, écrite en anglais entre 1960 et 1961. Traduite en français par l’auteur en 1962.

Monologue de Winnie. Des pensées banales, paradoxales, profondes et fugaces, interrompues par d’étranges sonneries et rythmées par des silences ambigus. Enterrée dans une « étendue d’herbe brûlée », Winnie s’agrippe à ses mots et refuse de sombrer dans les bouillons de la mélancolie  – “ Ça que je trouve si merveilleux ” !

http://www.ina.fr/video/CPF86628107 Madeleine Renaud dans le rôle de Winnie

 

Le monologue de Molly Bloom, « Ulysse », J.Joyce

Le monologue intérieur et l’absence de ponctuation: l’art du « courant de conscience ».

Un extrait du monologue de Molly Bloom dans le dernier chapitre d’Ulysse. Molly laisse venir en elle un flot de pensées, de souvenirs, de sensations.  Une langue émerge…

« Oui, puisqu’avant il n’avait jamais fait une chose pareille de demander son petit déjeuner au lit avec deux œufs depuis l’hôtel de la Cité quand ça lui arrivait de faire semblant d’être souffrant au lit avec sa voix geignarde jouant le grand jeu pour se rendre intéressant de cette vieille tourte de madame Riordan qu’il pensait ans ces petits papiers et qu’elle ne nous a pas laissé un sou tout en messes pour elle et son âme ce qu’elle pouvait être pingre embêtée d’allonger huit sous pour son alcool à brûler me racontant toutes ses maladies elle en faisait des discours sur la politique et les tremblements de terre et la fin du monde payons-nous un peu de bon temps d’abord et quel enfer serait le monde si toutes les femmes étaient de cette espèce-là à déblatérer contre les maillots de bain et les décolletés que bien sûr personne n’aurait voulu la voir avec je suppose qu’elle était pieuse parce qu’aucun homme n’aurait voulu la regarder deux fois j’espère bien que je ne serais jamais comme ça c’est étonnant qu’elle ne nous ait pas demandé de nous couvrir la figure mais tout de même c’était une femme bien élevée et ses radotages sur Mr. Riordan par-ci et M. Riordan par-là je pense qu’il a été content d’en être débarrassé et son chien qui sentait ma fourrure et se faufilait pour se fourrer sous mes jupes surtout quand d’ailleurs j’aime assez ça chez lui malgré tout qu’il soit poli avec les vieilles dames comme ça et les domestiques et les mendiants aussi il n’est pas fier parti de rien mais quelquefois si jamais il attrapait quelque chose de grave c’est bien qu’ils aillent à l’hôpital où tout est si propre mais je suppose qu’il me faudrait bien un mois pour arriver à le persuader Oui et tout de suite une infirmière entrerait en scène et il s’incrusterait là jusqu’à ce qu’on le mette à la porte ou encore une religieuse comme cette photo cochonne qu’il a qui n’est pas plus religieuse que moi Oui parce qu’ils sont si faibles et si pleurnicheurs quand ils sont malades ils ont besoin d’une femme pour aller mieux si son nez saigne vous croiriez que c’est ô quel drame et cet air de moribond en descendant du South Circular quand il s’était foulé le pied à la fête de la chorale du Mont Pain de Sucre le jour que j’avais mis cette robe Miss Stack qui lui apportait les fleurs les plus fanées qu’elle pouvait trouver au rabais elle ferait n’importe quoi pour entrer dans la chambre à coucher d’un homme avec sa voix de vieille fille elle essayait de s’imaginer qu’il était en train de mourir pour l’amour d’elle ne jamais te revoir mais il avait plutôt l’air d’un homme qui a laissé poussé sa barbe au lit papa c’était la même chose et puis je déteste faire des bandages et donner des potions quand il avait coupé son doigt avec le rasoir en grattant ses cors il avait peur d’avoir un empoisonnement du sang mais si c’était moi par exemple qui tombais malade alors on verrait comme je serais soignée seulement la femme ne se plaint pas pour ne pas donner tout le mal qu’il donnent eux. »

Le monologue intérieur au cinéma

Nouvelles pistes pour notre atelier « Les mises en scène du moi » (week end du 5/6 avril) : les origines du monologue intérieur au cinéma.

1930, le Meurtre : les débuts du cinéma parlant, Alfred Hitchcock invente le monologue intérieur. Scène sublime face au miroir à voir ici.

Sir John (Herbert Marshall) repense à son rôle en tant que jury dans le procès de Diana, condamnée à mort. Le spectateur assiste au flux ininterrompu des pensées qui traversent le personnage, assailli par les remords et le doute. Pour réussir cette scène, Hitchcock avait fait enregistrer au préalable le monologue de Sir John et l’avait fait diffuser au cours du tournage, pendant qu’un orchestre de trente musiciens, dissimulé derrière le décor, jouait Tristan et Iseult !

 

 

les Lauriers sont coupés, Édouard Dujardin, 1887

Revenir aux origines du monologue intérieur : Édouard Dujardin, les Lauriers sont coupés, 1887 . De quoi nourrir notre prochain atelier sur l’écriture du moi !

« Un soir de soleil couchant, d’air lointain, de cieux profonds ; et des foules confuses; des bruits, des ombres, des multitudes; des espaces infiniment étendus; un vague soir. »

Lecture du matricule des anges :http://www.lmda.net/din/tit

Joyce, à propos des Lauriers sont coupés  : « Le lecteur se trouvait, dans Les lauriers sont coupés, installé, dès les premières lignes, dans la pensée du personnage principal, et c’est le déroulement ininterrompu de cette pensée qui, se substituant complètement à la forme usuelle du récit, apprenait au lecteur ce que fait ce personnage et ce qui lui arrive. »

 

 

les Parents terribles, Jean Cocteau

À lire, à relire : Cocteau, les Parents terribles, 1938 !

Trois actes et une roulotte infernale.

L’histoire d’une demeure où règne le désordre : c’est la maison des portes qui claquent.

Voilà une drôle de famille où la mort, enfin, vient mettre un peu d’ordre. Drame d’une mère qui idolâtre son fils et en oublie son époux ? Oui. Clin d’oeil au mythe de Jocaste ? Oui. Des scènes qui rappellent la relation que Cocteau entretenait avec sa mère ? Oui !

Mais ce que je retiendrai avant tout est cette alliance du vaudeville et de la tragédie, cet équilibre parfait trouvé ici par Cocteau dans un texte qui me semble éminemment poétique. L’art de mettre en scène des rêveurs qui entrent dans le drame dès qu’ils retombent dans la réalité. Les larmes croisent le rire. À bon entendeur…

« Léo : Ne fouille pas trop le cœur, Georges. Il est mauvais de fouiller trop le cœur. Il y a de tout dans le cœur. Ne fouille pas trop dans mon cœur, ni dans le tien. »

le Quatrième Mur

Antigone a encore son mot à dire.

Anouilh avait représenté son Antigone en 1944, sous l’Occupation allemande. Dans le Quatrième Mur, le dernier roman de Sorj Chalandon paru l’été dernier aux éditions Grasset, le narrateur, Georges, nourrit le fol espoir de voir les acteurs de la guerre du Liban devenir les acteurs de cette tragédie : une manière de « donner à des ennemis une chance de se parler ».

Antigone, « la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien », celle qui dit non en réalité, sera Palestinienne. Le fiancé d’Antigone, Hémon, celui qui ignorait « qu’il ne devrait jamais exister de mari d’Antigone sur cette terre », sera Druze. Quant à celui qui « joue au jeu difficile de conduire les hommes », le roi Créon, il fallait qu’il soit Maronite, tout comme les gardes devaient être Chiites.

Voilà l’histoire du mythe grec représenté au coeur de la guerre du Liban, à Beyrouth. L’utopie d’une trêve de deux heures.

À la lecture de ce roman saisissant, aux scènes parfois très violentes, on ne peut que repenser aux propos de Jean Anouilh : « C’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir ».

Mais je songe également aux témoignages de certains déportés, et notamment à Robert Antelme, expliquant combien il était difficile de revenir à une vie normale. Ce qui frappe en effet dans ce roman est bien l’incapacité du narrateur à quitter la guerre. Des pages terrifiantes où l’on constate que l’amour d’une petite fille de trois devient un fardeau face aux souvenirs des massacres du camp de Chatila.

À lire…

 

Albert Camus

« J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au coeur d’un bonheur royal. »

Le 4 janvier 1960, Albert Camus, prix Nobel de littérature, se tuait en voiture.
L’occasion de relire Noces. Plus qu’une oeuvre de jeunesse, cet essai doit être perçu comme un texte majeur. L’antagonisme des deux thèmes fondateurs de la pensée de Camus, ce midi et ce minuit, s’y expose déjà. Le soleil doit être partagé avec la misère : le prix à payer de la présence au monde est le tragique. La faille est déjà ouverte d’où va surgir l’absurde.
Juillet 1939, deux mois après la publication de Noces, Camus écrit dans Alger Républicain :  » Des hommes que la terre suffit à contenter doivent savoir payer leur joie et leur lucidité et, fuyant le bonheur illusoire des anges, accepter de n’aimer que ce qui doit mourir « .

les Hauts de hurle-vent

Tensions sur un même corde tendue à se rompre : certains rouges et certains noirs. La haine et la passion, au coeur d’une tragédie atemporelle. Mais aussi la force et la faiblesse, la préciosité et la sauvagerie, l’ignorance et le savoir, la richesse et la misère … autant d’antithèses que l’on pourrait filer à l’infini.

Des mises en scène sublimes de la cruauté de l’homme et de son indicible solitude. La misanthropie, le cynisme et le machiavélisme en forme d’héritage.

Deux grandes maisons qui s’affrontent : des jalousies et des calculs meurtriers. Un univers austère, âpre et rude – sorte de huit-clos duquel les personnages parviennent, parfois, à s’échapper… pour se perdre à nouveau dans les monts enneigés et hurlants de l’hiver.

Chef d’oeuvre de la littérature anglaise. La tragédie de personnages hantés. Ou l’art de hanter son lecteur.

Et pourtant c’est aussi l’histoire d’une alphabétisation par l’amour…  » En vérité, ce pays-ci est merveilleux  » ! (Incipit)

Marguerite Duras

« Écrire. Je ne peux pas.

Personne ne peut.
Il faut le dire, on ne peut pas.
Et on écrit.

C’est l’inconnu qu’on porte en soi écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien.
On peut parler d’une maladie de l’écrit.

Ce n’est pas simple ce que j’essaie de dire là, mais je crois qu’on peut s’y retrouver,
camarades de tous les pays.

Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas
pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire.

L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en
toute lucidité.
C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire,
c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même,
d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible,douée de pensée, de colère, et
qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie.

Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on
n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.

Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait — on ne le sait qu’après —
avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus
courante aussi.

L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme
rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »

Marguerite Duras, Écrire.