Les nouveaux programmes…en clair ?

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http://www.reformeducollege.fr/nouveaux-programmes/nouveau-programme-de-francais

Pour bien comprendre : avant 2009, les programmes de 1996…

La réforme des programmes de 2009 est déjà née d’un constat, celui de dérives de l’enseignement du Français, dénoncées par de nombreux professeurs, mais aussi par des IGEN (Inspecteurs Généraux de l’Éducation National) comme Patrick Laudet qui rédigea, à la faveur de la sortie de ces programmes de 2009, un très beau texte intitulé : « L’explication de texte littéraire : un exercice à revivifier ». Pourquoi fallait-il « revivifier » l’étude des textes ?

Les « types de discours » contre les richesses du texte
Parce que celle-ci avait sombré dans un formalisme asséchant, ruinant le sens et la portée des textes et faisant périr d’ennui les élèves, condamnés à de perpétuels relevés qui ne menaient nulle part.
Il faut dire que, de 1995 à 2009, on n’a plus étudié de textes : on a étudié des « discours » : tel était le maître mot de ces programmes. « Discours explicatif », « discours descriptif », « discours argumentatif »… L’objet de la lecture et de son analyse n’était plus une œuvre mais un « type de texte ». Dès lors, tout se vaut : pour étudier un texte explicatif, une page d’ouvrage documentaire sur les volcans vaut bien un passage de Jules Verne, et pour l’injonctif, une recette de cuisine ou un poème sont parfaitement équivalents.

La séquence pédagogique : une idée à première vue séduisante…

La seconde grande révolution des programmes des années 90, dans le sillage de la création des IUFM et de la prise du pouvoir par des formateurs à marottes, ç’a été la séquence pédagogique, présentée comme modèle indépassable. Qu’est-ce que la séquence ? Une chose a priori séduisante pour un professeur, mais en réalité souvent calamiteuse dans les salles de classe. Il s’agit de faire concourir tous les domaines du Français (lecture, étude de la langue, écriture) à la réalisation d’un même objectif (généralement une rédaction), liant ainsi étroitement ces domaines afin de « donner du sens aux apprentissages ». L’intention est louable et non dénuée de séduction. Mais l’on sait le lien entre l’enfer et les bonnes intentions.

Les inévitables dérives du décloisonnement forcé

Sur le terrain, l’injonction faite aux professeurs de toujours partir des textes pour étudier des faits de langue a conduit à deux dérives majeures :
– Une instrumentalisation des textes qui dégoûtait les élèves de la lecture. Quelle misère que d’étudier Les Misérables pour travailler sur le portrait (de personnages dont jamais l’élève ne connaîtra l’histoire…), les expansions du nom, la connotation des termes et l’emploi de l’imparfait, plutôt que sur la relation de Valjean et Javert, la question de la Rédemption, la capacité pour l’homme de changer, les combats hugoliens… !
– Une totale atomisation des leçons de grammaire, souvent réduites à des remarques erratiques faites au hasard des textes, sans ordre méthodique – quand la grammaire n’était pas limitée à une leçon par séquence, c’est-à-dire 5 ou 6 sur toute une année.
Et l’on a vu se multiplier des comportements ahurissants. Les professeurs, sommés à tout instant de lier textes et études de la langue, inondaient forums et listes de discussion professionnels des demandes du style : « Je cherche un texte avec du subjonctif / des expansions variées / des connecteurs logiques évidents ». Hugo, Gudule ou une notice d’aspirateur, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait « l’outil de la langue » ! Misère du contenu : misère de l’approche.
Car ajoutons enfin que le relativisme, qui met sur le même plan des textes « littéraires et non littéraires » (citation du projet de programmes en cours), des articles de presse, des textes documentaires, de la littérature de jeunesse, ne peut mener qu’à ces études asséchantes que l’on a dénoncées. Que voulez-vous faire d’autre, sur des textes aussi pauvres, dont le sens n’appelle aucun dévoilement, que de la technique ? Moins le texte est résistant, et plus les professeurs sont réduits à se contenter de relevés sans intérêt – et à ennuyer les élèves !

Les programmes actuels (depuis 2009)

Le retour de la grammaire

À tous ces dangers, les programmes de 2009 avaient opposé nombre de garanties : une liberté pédagogique retrouvée qui permettait de ne plus travailler uniquement en séquences. Le rappel de l’importance de la grammaire qui devait, quel que soit le modèle choisi, faire l’objet d’une progression méthodique et de véritables leçons. Le Primaire ayant connu semblable réforme et s’étant mis à pratiquer davantage la grammaire, et de façon plus méthodique, on commençait tout juste à voir arriver au collège des élèves ayant quelques bases. Las ! C’en est bientôt fini de ce mince progrès !

La littérature: histoire littéraire et Humanités

Par ailleurs, les programmes de 2009 ont déclaré la fin de la typologie des textes, le retour à une littérature perçue comme partie des Humanités, et, à cette fin, la relégation des textes non-littéraires, et la circonscription de la littérature jeunesse à la lecture personnelle, en dehors de la classe. Un programme chronologique, parallèle au programme d’Histoire, permettait la découverte progressive des grands courants et des œuvres constitutifs de l’Histoire littéraire et d’une culture universelle, sans jamais interdire de faire tous les liens nécessaires avec les racines ou les survivances d’un genre à travers le temps. Ces programmes garantissaient à tous les élèves de France, dans quelque collège qu’ils soient, d’étudier au fil des années les mythes, les romans de chevalerie, le réalisme, le fantastique, le lyrisme, la poésie engagée…

Le projet de réforme du collège : un programme qui renforcerait les inégalités…

La fin de toute perspective d’histoire littéraire & l’introduction du prêt-à-penser

En lieu et place, nous voici désormais avec des entrées purement thématiques, comme dans les années 80 : « se chercher, se construire », « vivre ensemble », « regarder le monde »… (pas tout à fait comme dans les années 80, en fait : les entrées sont ici plus creuses et répétitives.) Il va falloir passer les œuvres à la moulinette de ces thèmes, les faire entrer à toute force dans les bonnes cases. Au lieu que l’étude du texte soit, comme P. Laudet l’appelait de ses vœux, l’occasion d’un déploiement du sens, ce sera celle d’un dévoiement, d’une lecture forcée et réductrice. Un roman comme Les Misérables ne sera plus étudié pour lui-même, pour sa puissance épique et lyrique, pour sa capacité à prendre en charge les grandes questions que se pose l’être humain, mais pour illustrer un des thèmes évoqués. Las !

Relativisme culturel et démagogie
Mais surtout – et c’est là une rupture totale avec la tradition humaniste – les futurs programmes ne donnent plus aucune indication de siècles, de mouvements littéraires ni d’œuvres ou d’auteurs à aborder. Exit, Hugo, Voltaire, La Fontaine, Molière, Camus ! Les voilà remplacés par de simples « types d’œuvres littéraires et non-littéraires, donnés à titre indicatif », où l’on voit se côtoyer épopées, documentaires, récits, presse, bande dessinée, films, théâtre, comics et « fictions audiovisuelles » (comprendre « séries TV », comme c’était écrit textuellement dans la première version des programmes, sans vergogne). Revoilà le relativisme, plus violent que jamais, qui met sur le même pied Marivaux et Titeuf, Tolkien et un épisode de Game of Throne.

Pourquoi ce grand retour du relativisme ? Parce que nous retrouvons dans ces programmes la typologie des textes en lieu et place de la littérature. La mention « types de discours » apparaît 5 fois dans des programmes de Français réduits à quelques pages. Dans le même temps, on voit revenir le dogme de la séquence et la fin de la liberté pédagogique. Nous retrouvons donc tous les éléments qui ont déjà provoqué la catastrophe précédente, accentués encore par une approche thématique des œuvres. Le souci de transmission d’une culture commune et, à travers elle, d’un monde commun, la foi en la puissance de classiques, en leur capacité à instituer l’Homme, tout cela semble avoir déserté les concepteurs de ces nouveaux programmes qui font de l’étude des textes un simple moyen de travailler des compétences purement utilitaires.

La grammaire mise en pièces ?
La grammaire, quant à elle, est réduite à un simple outil de communication. Il n’est plus question de donner à comprendre la langue comme système cohérent (il ne faudrait même plus enseigner les conjugaisons à toutes les personnes), donnant ainsi accès à une syntaxe juste et précise, ni de développer le raisonnement par les concepts grammaticaux. On se contente désormais du strict nécessaire pour écrire à peu près sans (trop de) fautes. Les apports de la grammaire à la construction de la pensée et de la langue sont niés purement et simplement. Pour compenser cet appauvrissement, on introduit au collège, auprès d’enfants de 11 à 15 ans, des notions issues de la recherche universitaire la plus pointue : thème et prédicat, différence (subtile) entre connecteurs et indicateurs de temps et de lieu, théories de l’énonciation… Ces notions si complexes que bien des professeurs ne les maîtrisent pas paraissent soudain plus urgentes à enseigner que la conjugaison du passé simple à toutes les personnes. En deux mots, on diminue ce qui est nécessaire à l’intégration d’une syntaxe précise permettant de mieux lire et mieux écrire, et l’on alourdit les programmes de notions d’une complexité ahurissante.
Enfin, destinée à n’être plus étudiée qu’au sein de séquences, la grammaire court à nouveau le risque d’être à nouveau abordée sans cette progression rigoureuse qui seule permet de mieux éclairer les notions au fur et à mesure qu’on les introduit. De toute façon, en limitant à environ 20% des heures de Français le temps dévolu à l’enseignement de la grammaire, le projet de programme prétend diminuer de façon drastique l’étude de la langue, qui occupe chez bien des professeurs consciencieux 40 à 50% du volume horaire : moitié littérature, moitié grammaire, ça paraît équitable. On voit mal comment quelque progrès pourrait résulter de ces coupes franches.

L’inquiétante dilution du programme sur les 3 années du cycle 4
Dans le même temps, l’organisation rigoureuse des programmes année par année cède le pas à une organisation par cycles de trois ans. Les professeurs seront libres de répartir comme ils le souhaitent les points au programme au fil de ces trois années. Ainsi, si un établissement décide de traiter des Lumières et des relations logiques dans la phrase en 4e, par souci de cohérence avec le programme d’Histoire, et qu’un autre préfère aborder ces points en 3e, en lien avec le thème « dénoncer la société », un élève qui déménage de l’un à l’autre en cours de scolarité pourrait ne jamais rencontrer ces points. En tout état de cause, c’est une désorganisation complète des apprentissages. Entre cette « autonomie des établissements » et le relativisme instauré dans le choix des œuvres, on peut se poser des questions sur le caractère national du programme et la différence de contenu entre un collège de Seine-Saint-Denis et un bon établissement parisien.

Pour conclure

Sans parler des heures prises sur l’enseignement disciplinaires pour la mise en place des EPI, qui pénaliseront au premier chef les élèves en difficulté, gageons qu’à réintroduire ce qui avait déjà produit des effets toxiques sur l’enseignement du Français, à savoir l’enseignement en séquences et la typologie des textes, à discréditer ainsi la grammaire et à décréter un total relativisme dans les objets étudiés en classe, à renvoyer enfin les établissements à leur autonomie sous couvert de cycles, cette réforme du collège contribuera davantage à creuser les inégalités qu’à les combler.