Voltaire et le conte philosophique

 L’APOLOGUE

I. DÉFINITION :

Court récit (à l’origine, discours oral) souvent allégorique, en vers ou en prose, comportant un enseignement moral.

→ genre argumentatif (fiction à visée argumentative)

→ ne pas le confondre avec l’apologie (défense d’une personne ou d’une idée).

→ genre qui recouvre différentes formes narratives comme : la fable, la parabole, l’allégorie, le conte (merveilleux, fantastique, philosophique), l’utopie ( construction imaginaire d’une société idéale ) …

 

CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES :

1) UN DISCOURS NARRATIF

– Le sens étymologique de « fable » : fari = parler / fabula : récit = tout récit fictif

–  En prose ou en vers, l’apologue raconte : discours narratif

–  Se distingue donc de l’essai, jamais narratif

– Respecte généralement un schéma narratif classique : situation initiale / élément perturbateur / péripéties / élément de résolution / situation finale.

2) UN GENRE BREF

– Proverbe, fable (forme brève qui contient une histoire et une moralité), conte.. favorisant l’association entre le plaisir et l’enseignement.

– Le temps rarement précis : emploi d’un présent atemporel (valeur universelle).

– Les lieux : souvent assez vagues. Ils relèvent plus de l’imagination du lecteur que de la réalité.

– Les personnages : ils sont stéréotypés, n’ont pas d’identité individuelle, nom souvent symbolique (cf. Candide, l’Ingénu), et au service d’une thèse.

3) UN SENS ALLÉGORIQUE

(représentation d’une idée abstraite par un personnage ou un récit)

L’apologue oblige le lecteur intellectuellement complice à décrypter le sens implicite du récit

4) UN ENSEIGNEMENT MORAL

Ce récit didactique apporte toujours un enseignement (la « morale » dans une fable) qu’elle soit explicite ou implicite. L’apologue doit donc instruire.

Intention didactique qui se joint au plaisir du récit  imagé.

 

II. VOLTAIRE ET LE CONTE

Sources, influences :

– Boccace, Rabelais, La Fontaine.

–  Les mille et une nuits (orient, + art des surprises et rebondissements repris dans Zadig et Candide).

– Les héros chevaleresques parcourant le monde (Le Roland Furieux de l’Arioste) : cf. structure de Candide.

Le conte philosophique : conte intégrant la recherche de la vérité et de la raison dans le cadre d’un récit invraisemblable et merveilleux.

 

1) Ce qui relève de la tradition du conte chez Voltaire 
  • Une succession d’événements invraisemblables : dans Candide, se succèdent les fuites, guerres, naufrages, duels, pirateries etc.  Zadig, lui, est sauvé du supplice, devient ministre, puis esclave, avant de mourir sur le trône de Babylone.

L’accumulation des événements souligne le présence du Mal dans Candide, et le caractère chaotique d’une destinée dans Zadig.

  • L’exotisme : tradition du conte oriental, notamment dans Zadig (cf Incipit).
  • Aventures qui fondent l’apprentissage du héros : formation de Candide à travers ses aventures, qui lui permet d’échapper à sa naïveté. La réalité le projette hors de l’univers protégé de Thunder-ten-tronckh. Héros picaresque qui côtoie toutes les couches sociales, alternant ascensions et chutes.

2) La présence de la philosophie :

Omniprésence de questions philosophiques : propos philosophique parfois explicité par le sous-titre : Zadig ou la Destinée, Candide ou l’Optimisme.

Dans Candide, Voltaire lutte contre L’OPTIMISME DE LEIBNIZ :

Dans sa Théodicée (1710), Leibniz, cherchant à innocenter Dieu de l’existence du mal, soutient que le monde actuel est le plus heureux et le meilleur parmi une infinité de mondes possibles. Le mal n’est qu’une apparence. Principe de la raison suffisante : pour Leibniz, rien n’arrive sans cause ou sans raison. On peut donc expliquer tout événement : le monde est une chaîne logique de causes et d’effets où tout a une « raison suffisante ». Fidèle à l’empirisme de Locke, Voltaire lui oppose sa Métaphysique de Newton : seul le raisonnement fondé sur l’expérience mène à la vérité.

Voltaire réfute donc le providentialisme (théorie consistant à expliquer tous les événements comme voulus par la sagesse de Dieu) dans Candide :

* accumulation des horreurs : revue de tous les aspects du mal physique et moral.

* dérision du providentialisme : l’univers est présenté comme chaotique et la sottise de Pangloss est de vouloir introduire systématiquement une causalité pour expliquer l’imprévu. Pour Voltaire, l’homme est dépassé par des événements dont la cause lui échappe.

  • Idées de la philosophie des Lumières: le relativisme, la tolérance, la raison et le déisme. Candide propose une morale de l’action.

  • Réflexion d’ordre politique aussi : Voltaire rêve d’un « despotisme éclairé » c’est-à-dire une monarchie luttant contre les privilèges, favorisant l’Etat, réduisant le pouvoir de l’Eglise et protégeant les philosophes. Dans Candide, l’utopie de l’Eldorado présente des citoyens vivant dans un état d’innocence et de pureté.
3) Force et originalité du conte philosophique :
  • Le conte favorise toutes les audaces, d’autant que Voltaire use de l’anonymat.
  • Le conte permet le mélange des registres, variété que Voltaire exploite particulièrement dans Candide (pathétique, comique, tragique..). 
  • La fiction permet non seulement d’écarter la censure mais aussi de favoriser l’intérêt des lecteurs puisqu’elle allie le plaisir (fiction divertissante) et la philosophie. La force et l’originalité de l’apologue résident dans cette articulation du récit et de la morale.
  • L’arme privilégiée de Voltaire, l’IRONIE, suscite la réflexion et la participation du lecteur : connivence entre l’auteur et le lecteur. Cf Fiche sur l’ironie.
4) PUBLICATION DE CANDIDE

Genève en janvier 1759.

-Candide, ou l’Optimisme est réédité vingt fois du vivant de l’auteur (plus de cinquante aujourd’hui) ce qui en fait un des plus grands succès littéraires français.

Anonyme en 1759, Candide est attribué à un certain « Monsieur le Docteur Ralph » en 1761, à la suite du remaniement du texte par Voltaire. A cette époque, Voltaire vit dans la propriété des Délices à Genève, véritable « palais d’un philosophe avec les jardins d’Épicure ».

– Deux événements l’ont récemment bouleversé : le tremblement de terre de Lisbonne du 1er novembre 1755 et le début de la guerre de Sept Ans (1756) qui lui inspirent cette réflexion : « Presque toute l’histoire est une suite d’atrocités inutiles » (Essai sur l’histoire générale, 1756).

– De plus, l’année précédant la publication de cet ouvrage, lEncyclopédie de Diderot et d’Alembert, à laquelle participait Voltaire, connaît un coup d’arrêt par le retrait du privilège royal et la condamnation prononcée par le Parlement de Paris. Voltaire aurait donc trouvé, avec Candide, un moyen de continuer à transmettre les idéaux des Lumières. Succès de ce livre qui, au lieu de ne toucher qu’une élite fortunée et cultivée comme le faisait l’Encyclopédie, a touché presque tous les lettrés.