« Mes amis », Emmanuel Bove

          Premier roman d’Emmanuel Bove, publié en 1924, Mes amis s’inscrit dans l’époque de la crise du roman et du subjectivisme. Écrivain du désenchantement, Bove met ici en scène un personnage velléitaire, Victor Bâton, qui passe ses journées à ne rien faire. Victor Bâton semble condamné à la paresse, la solitude et la pauvreté mais n’agit pas et s’enfonce dans l’opacité de l’existence. Habité par un sentiment de persécution, il vit avec l’angoisse d’être confronté à l’incompréhension des autres, ce qui n’est pas sans nous rappeler le personnage de Meursault, son apparente indifférence et son irresponsabilité chronique. Mais, faute d’être dirigées vers autrui, les émotions de Meursault sont investies dans son corps et si le héros de l’Etranger semble finalement doué pour jouir des plaisirs de ce monde et affronter la vie dans toute sa nudité, le narrateur de Mes amis, encombré d’un corps maladroit, ne parvient pas à dépasser l’étrange douleur d’exister. Dans le monde d’E.Bove, ce n’est pas seulement Dieu qui est mort mais également l’Humanisme, et le tragique l’emporte.

          Mes amis est une oeuvre à (re)découvrir impérativement. Voilà un roman incroyablement moderne, une sorte de monologue aux phrases concises et aux formules insolites, une vision désenchantée du monde qui a l’audace et le talent de nous faire rire – malgré tout.

« Je n’avais pas l’intention de mourir, mais inspirer de la pitié m’a souvent plu. Dès qu’un passant s’approchait, je me cachais la figure dans les mains et reniflais comme quelqu’un qui a pleuré. Les gens, en s’éloignant, se tournaient. La semaine dernière, il s’en est fallu de peu que je ne me fusse jeté à l’eau, pour paraître sincère. »

 

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